Nouvel album de Katatonia : une immersion envoûtante dans « Nightmares as Extensions of the Waking State »

Rêves éveillés et cauchemars lucides
Avec Nightmares as Extensions of the Waking State, Katatonia signe un retour magistral, consolidant un peu plus encore son statut de grand seigneur des ténèbres scandinaves. Treizième album d’une discographie sans faille, cette nouvelle offrande est tout sauf un simple prolongement de Sky Void of Stars (2023) : c’est une œuvre-charnière, un palier franchi, où les cauchemars deviennent poétiques, presque salvateurs.
Dès l’ouverture avec « Thrice », le ton est donné : riffs massifs, alternance de silences suspendus et de montées en tension, batterie ciselée, voix spectrale de Jonas Renkse… Le groupe maîtrise à la perfection l’art de l’équilibre entre densité sonore et fragilité émotionnelle. Et ce contraste est le fil rouge d’un disque où la complexité se rend accessible, sans jamais sombrer dans la démonstration.
L’émotion au cœur de la technique
Katatonia ne joue pas la carte de la facilité. Chaque morceau est un paysage sonore minutieusement construit, souvent exigeant, mais toujours captivant. Il faudra plusieurs écoutes pour véritablement saisir la richesse de titres comme « Wind of no Change », hybride de goth et de metal extrême, qui ose un clin d’œil au passé black/death du groupe avec un étonnant “Hail Satan” chuchoté, ou encore « Temporal », où la tension dramatique culmine dans un refrain d’une intensité bouleversante.
Le chant de Renkse, toujours aussi retenu et mélancolique, atteint ici une forme d’apogée expressive. Il semble n’avoir jamais autant incarné ses textes, en particulier sur « Lilac », single entêtant, ou sur « In the Event Of », final bouleversant inspiré d’un rêve aussi sombre qu’obsédant.
Un nouveau souffle dans la continuité
Ce disque marque aussi une étape importante dans l’histoire interne du groupe : avec les départs d’Anders Nyström et Roger Öjersson, deux nouveaux guitaristes prennent le relais — Nico Elgstrand et Sebastian Svalland — injectant un souffle nouveau sans trahir l’essence Katatonienne. Le résultat est plus guitar-driven, plus audacieux même, parfois presque heavy, mais toujours raffiné.
L’interaction entre les nouveaux venus et la rythmique implacable de Daniel Moilanen (batterie) et Niklas Sandin (basse) est d’une fluidité désarmante. Mention spéciale à « Departure Trails », titre plus synthétique et cinématographique, presque hors format, et à « Efter Solen », bijou ambient en suédois co-écrit avec Joakim Karlsson, comme un baume mélancolique dans un océan d’inquiétude.
Production cristalline, vision limpide
La production — signée Jonas Renkse, mixée par Adam Noble et masterisée par Robin Schmidt — est d’une limpidité absolue. Chaque nuance, chaque respiration trouve sa place dans le mix. Les silences y ont autant de poids que les murs de guitares, et c’est sans doute ce qui rend l’album aussi saisissant : il vit, il respire, il vous parle à l’âme.
Conclusion : Katatonia, maîtres de l’ombre, encore et toujours
Nightmares as Extensions of the Waking State est bien plus qu’un album de plus pour Katatonia. C’est un manifeste, une introspection magnifiquement douloureuse, un rappel que l’art peut sublimer la peine, que l’obscurité peut être source de lumière. C’est aussi un disque d’une rare élégance, qui ne flatte pas l’oreille, mais l’élève.
Trente ans après ses débuts dans les brumes du death doom, Katatonia ne faiblit pas. Au contraire, le groupe semble plus pertinent, plus sincère et plus libre que jamais. Et cela, en soi, relève déjà de l’exploit.